Le drapeau du Cameroun se dresse lentement et en silence au-dessus des écogardes alignés au garde-à-vous. Les couleurs du drapeau font échos à l’uniforme vert des soldats. Ce vert symbolise la forêt que protège le corps des écogardes. Nous sommes au Parc National de Lobéké, à la pointe Sud-Est du Cameroun, à la frontière avec la République du Congo et la République Centrafricaine. Ce parc et ses alentours accueillent l’une des biodiversités les plus riches d’Afrique centrale qui attire de nombreux braconniers provenant non seulement du Cameroun mais aussi des pays frontaliers. Les écogardes jouent un rôle clef dans la région en marquant leur présence dans le parc et ses alentours pour lutter contre la criminalité faunique.

Les écogardes du Parc National de Lobéké devant la levée du drapeau national.
Une fois le drapeau hissé, le camp s’active. Les officiers signent les derniers papiers administratifs, les chauffeurs font le plein d’essence, les femmes et les hommes nettoient leurs armes, les moteurs des land-cruiser 4×4 ronronnent. Les paquetages sont solidement arrimés aux toits des véhicules. C’est l’heure du départ. Les écogardes montent à bord des land-cruisers usés mais robustes. L’homme en arme, qui a fière allure, claque la portière de la voiture derrière moi en prenant soin de pointer son AK47 vers le bas par souci de sécurité. Le land-cruiser démarre dans un vacarme assourdissant. Nous le savons, la route va être longue et éreintante.

Un écogarde monte dans le 4×4.
Les écogardes sont très bavards. Ils enchainent les blagues et les commérages pour rendre le voyage plus agréable. L’odeur du poisson séché et d’essence embaume l’habitable dans lequel nous sommes sérés comme des sardines. A chaque fois que le 4×4 heurte un nid-de-poule sur cette route chaotique, je me retrouve broyé par les deux volumineux camerounais qui me bordent. Heureusement, il nous faut régulièrement faire des pauses. Souvent, nous devons déblayer la route à coups de tronçonneuse et de machette pour couper les arbres au sol qui entravent la progression du véhicule. La nuit tombe déjà lorsque le 4×4 s’arrête. Nous allumons les frontales et entamons une marche jusqu’au camps de base. Dans une mécanique parfaitement huilée nous allumons le feu et installons nos tentes. Mes équipements de camping contrastent avec la vétusté des leurs. Certains écogardes n’ont pas de tente, d’autres pas de vêtements de pluie. De nombreux écogardes manquent d’un équipement de base depuis des années – quelques mois plus tard ils recevront un équipement neuf et complet. Un écogarde tourne le couscous pour préparer un repas sans fioriture, vite avalé. La bonne ambiance s’éternise autour du feu et des rires.

Un écogarde prépare le coucous pour le repas du soir.
L’activité principale des écogardes consiste à patrouiller pour marquer la présence des gardes armés en forêt et ainsi dissuader les braconniers. Les écogardes partent pour environ 2 semaines, par groupes de 4-6 personnes. Leur itinéraire est fixé à l’avance. Chaque jour, ils lèvent le camps pour s’enfoncer un peu plus loin dans la forêt. Ils portent leur nourriture de manière à être totalement autonome pendant 15 jours, soit au minimum 20 kilogrammes par personne sans compter le poids de l’arme. Ils progressent à raison de 5 kilomètres par jour. Leur progression dans la densité de la forêt est volontairement lente. Cette stratégie leur permet « d’écouter » la forêt et d’anticiper une éventuelle rencontre avec des braconniers. Les écogardes ont pour hantise une mauvaise rencontre avec un groupe de braconniers armés qui se solderait par des échanges de tirs mortels. Durant la formation initiale qui dure 45 jours, les écogardes s’entrainent à capturer les braconniers sans faire usage de leurs armes afin d’éviter les conflits meurtriers. Les militaires (qui ne sont pas rattachés au Ministère des Forêts et de la Faune comme le sont les écogardes) disent des écogardes qu’ils sont des « mourants » car ils risquent leur vie en privilégiant ce mode d’interpellation non-violent. Des écogardes sont morts en service auparavant.
« Nous sommes payés environ 100-200 euros par mois pour risquer nos vies en forêt. »

Un écogarde patrouille en forêt.
Les braconniers sont souvent de jeunes hommes provenant des communautés autochtones – dans le post “Une journée chez les Baka” il est expliqué pourquoi les personnes autochtones sont “par défaut” considérés par les autorités comme braconniers. Ils sont employés par les non-autochtones pour leur exceptionnelle capacité à pister, traquer le gibier et poser des pièges. Ils peuvent rester de nombreuses semaines en forêt pour chasser. Les employeurs fournissent des armes à feu aux personnes autochtones et leur apprennent à tirer. En échange des produits de la chasse, les braconniers recevront un peu d’argent, d’alcool ou de cigarettes : un magot bien dérisoire par rapport aux revenus que l’employeur tirera de la viande de brousse ou des trophées (ivoire, peaux, plumes, écailles, etc.) provenant des espèces intégralement protégées, dite « classe A » (éléphants, gorilles, panthères, crocodiles, etc.).
Les écogardes disent des personnes autochtones qu’elles sont également de la « classe A ». « Avec l’arrivée des droits de l’homme, les autochtones sont devenus intégralement protégés et on ne peut plus les approcher sans avoir de problème » me dit un écogarde. « Comment doit-on faire pour interpeller un autochtone-braconnier en forêt lorsqu’il se met à courir ? » Lorsque les écogardes parviennent à capturer un braconnier, ils ont pour mission de la ramener au quartier général du parc pour ensuite le déférer devant la justice. Mais il y a souvent plusieurs jours de marche en forêt qui séparent les écogardes du quartier général. Les écogardes doivent alors escorter le braconnier, le surveiller de jours comme de nuit, mais aussi prendre de soin de lui en partageant leurs rations.
Les écogardes savent bien que les autochtones sont trop pauvres pour pouvoir se procurer une arme à feu. En d’autres termes, ils reconnaissent que derrière chaque braconnier autochtone se trouve le vrai responsable et que c’est lui qu’il convient d’interpeler. De ce fait, les braconniers autochtones sont de moins en moins condamnés par la justice qui considère ce rapport de domination entre les autochtones et les non-autochtones. Pour pouvoir être libérés, les braconniers autochtones doivent dénoncer le commanditaire.

Deux écogardes partent en mission depuis la camp de base.
Lorsqu’un écogarde est affecté à Lobéké, il découvre des baraquements en bois et trois planches de bois qui l’attendent en guise de lit. Un jeune écogarde nouvellement affecté me confie d’un air un peu coupable : « La première fois que tu arrives ici, tu pleures. La première fois que tu vas en patrouille en forêt, tu souffres. » Un autre écogarde avec quelques années d’expérience sourit avant de surenchérir : « 15 jours en forêt ne te laissent pas indifférent. Quand tu es de retour, tu es fatigué, tu veux appeler tes proches mais tu ne peux pas. A Lobéké il n’y a pas de réseau téléphonique, pas d’eau courante. Seul un générateur nous permet d’avoir un peu d’électricité. La vie est dure ici. Tu es loin de tout, mais tu n’as pas le choix. C’est ton travail. »
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Voir aussi: “Une journée chez les Baka“
Remerciements :
This project has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (Grant agreement No. 694767 and ERC-2015-AdG).
Merci aux écogardes et au WWF pour leur accueil.
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