Les peuples autochtones représentent 5% de la population mondiale et leurs territoires concentrent 80% de la biodiversité mondiale. Pourtant, depuis une trentaine d’années, les grandes organisations de la conservation travaillant avec les gouvernements, ont créé des aires protégées sur 15% détriment des peuples autochtones qui vivaient sur ces terres. En Afrique centrale, ces populations vivent désormais le long des routes dans une extrême pauvreté. Sans accès à la forêt, elles regardent impuissantes défiler les voitures des services de la conservation en sachant qu’elles n’y monteront jamais. Si l’on considère que les peuples autochtones sont « les yeux et les oreilles de la forêt » cette situation est, en plus d’être injuste, absurde. Etant donné les résultats mitigés de la conservation internationale de ces 30 dernières années et les déclarations régulières de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) et les promesses des conférences des Nations Unies sur les changements climatiques (COP), il semble de plus en plus impensable de ne pas faire des peuples autochtones des acteurs majeurs de la préservation de la biodiversité dont la dégradation menace directement leurs modes de vie mais aussi le nôtre.
Le modèle pour la conservation de la biodiversité appliqué par les grandes organisations de la conservation et les gouvernements ces dernières décennies rend difficile l’intégration des communautés autochtones dans les stratégies de conservation. Ce modèle de conservation est souvent qualifié par les scientifiques de « conservation-forteresse » pour mettre en lumière son caractère excluant et violent. Cette forteresse symbolise une forêt interdite aux êtres humains et réservée aux animaux que défendent des éco-gardes armés repoussant les assauts des braconniers que sont devenus, par défaut, les communautés autochtones n’ayant plus d’autres moyens de survie. Il existe pourtant des dispositifs qui questionnent ce modèle générant pauvreté, conflits socio-ethniques et atteintes aux droits de l’homme.
#EtSinous utilisions la science citoyenne pour changer d’approche dans la conservation ? Ce mouvement d’ouverture de la science s’est développé avec l’essor des smartphones. Les smartphones sont de puissants outils scientifiques lorsqu’ils sont utilisés de manière coordonnée par un grand nombre de personnes. Ils permettent de générer des données environnementales en continu et sur de grandes surfaces – ce que ne peuvent pas faire quelques scientifiques professionnels envoyé sur le terrain pour quelques jours ou quelques semaines. Depuis une dizaine d’années, une équipe de chercheurs (ExCiteS) de University College London (UCL) a démontré que cette approche scientifique inclusive pouvait toucher de nombreuses communautés autochtones à travers le monde, y compris les communautés non-lettrées, et servir de base à une meilleure conservation et au suivi des espèces et des écosystèmes.
Le défi consistait à donner aux communautés locales et autochtones vivant dans les forêts, les déserts, les zones humides, ou les terres agricoles les moyens de partager leurs connaissances de leurs milieux de vie de manière indépendante et autonome. La plupart de personnes autochtones ayant pris part au projet sont peu ou non-lettrées et avaient rarement voire jamais touché un smartphone auparavant. Il s’agissait non seulement de familiariser ces personnes à l’utilisation de ce nouvel outil de partage de connaissances mais aussi de co-designer une application smartphone adaptée à leurs besoins et leurs envies. Cette application nommée Sapelli permet aux communautés de collecter des données géolocalisées au travers d’icônes, de photos et d’enregistrements audio mais aussi de visualiser ces données sur des cartes numériques interactives. Ce savoir est ensuite partagé avec le consentement préalable des communautés autochtones, notamment aux scientifiques et aux acteurs de la conservation pour améliorer la préservation de la biodiversité.
Les résultats obtenus dans les 21 cas d’etude sont prometteurs:

Les chasseurs-cueilleurs Baka et BaYaka des forêts humides du bassin du Congo, les pécheurs du Pantanal au Brésil, les pisteurs Ju|’hoansi du désert de Namibie ou les éleveurs Maasaï de plaines du Kenya se sont révélés capables d’utiliser des smartphones pour collecter et analyser des données environnementales de qualité. Ces données révèlent des informations jusqu’alors inconnues dans des zones difficiles d’accès parmi les plus riches en biodiversité de la planète. Autrement dit, la science citoyenne permet aux communautés autochtones de démontrer leur rôle crucial dans la préservation des espèces et des écosystèmes. Les gouvernements et les organisations de la conservation auraient tout intérêt à développer les approches de science citoyennes qui se révèlent bien souvent être des solutions bon marché et efficaces pour répondre aux enjeux contemporains.

Pour plus d’information : f.moustard@ucl.ac.uk
Remerciements : This project has received funding from the European Research Council (ERC) under the European Union’s Horizon 2020 research and innovation programme (Grant agreement Nos. 694767 and ERC-2015-AdG).